Où en est le grand projet de TotalEnergies au Cabo Delgado (Mozambique)
Le groupe TotalEnergies, que dirige Patrick Pouyanné, compte sur des gisements prolifiques et encore inexploités en Ouganda et au Mozambique pour redynamiser ses opérations en Afrique, en déclin depuis plusieurs années.
En 2021, à la suite d’une attaque jihadiste survenue dans la province du Cabo Delgado, à quelques kilomètres du site, le grand projet gazier Mozambique GNL avait été suspendu. Ses initiateurs attendent le retour de conditions de sécurité optimales et la levée du cas de force majeure pour le remettre en route.
Si ces contraintes opérationnelles agacent certains partenaires financiers du géant français au point qu’ils semblent tentés de se retirer du projet, TotalEnergies espère, quant à lui, obtenir un coup de pouce de ses partenaires financiers et que la région sera enfin sécurisée.
Le point, en cinq questions, sur un dossier aussi complexe que potentiellement rentable.
1 – Comment la situation dans le Cabo Delgado a-t-elle évolué depuis la suspension du projet ?
Dans la province du Cabo Delgado, dans l’extrême nord du Mozambique, la situation demeure volatile. Selon l’ONG Human Rights Watch, depuis avril 2021, date de la suspension des opérations de TotalEnergies dans le pays, les conditions n’ont cessé de se détériorer en raison des attaques que mène le groupe Mashababos (al-Chabab), lié à l’État islamique.
Bien que la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et le Rwanda mènent une mission militaire conjointe, « les risques associés à la reprise du projet persistent, analyse Philippe Sébille-Lopez, directeur du cabinet Géopolia, car il ne s’agit pas d’un conflit classique, mais d’une guérilla, et que des escarmouches peuvent reprendre à tout moment ».
Plusieurs chancelleries occidentales demandent d’ailleurs à leurs ressortissants d’éviter tout déplacement dans la province car « des groupes terroristes restent actifs et ils changent régulièrement de mode opératoire ».
Dans la foulée de la publication des résultats annuels de TotalEnergies, Patrick Pouyanné a affirmé, pour sa part, que « la sécurité [s’était] améliorée » même si « elle ne sera jamais parfaite ». « C’est un sujet monitoré [surveillé] en permanence », a-t-il précisé en rappelant que « le site de TotalEnergies n’avait pas été atteint, à l’époque, par ces attaques dramatiques ».
2 – L’arrivée au pouvoir de Daniel Chapo va-t-elle redistribuer les cartes ?
Successeur du président Filipe Nyusi (2015-2025), Daniel Chapo, le candidat du Frelimo (parti au pouvoir depuis l’indépendance) a prêté serment le 15 janvier dernier. Cet ancien gouverneur provincial sans expérience gouvernementale est déjà confronté à une grogne populaire incessante.
Selon l’ONG locale Plataforma Decide, au moins 307 personnes ont été tuées lors des violences postélectorales. Pillages et grèves paralysent le pays depuis la proclamation des résultats du scrutin du 9 octobre 2024.
« Daniel Chapo s’inscrit dans la continuité de Filipe Nyusi. Sur le terrain, le contexte politique, socio-économique et sécuritaire évolue peu », explique Philippe Sébille-Lopez, pour qui « l’armée mozambicaine n’a aucun moyen de sécuriser les projets pourtant vitaux pour l’avenir économique du pays ».
3 – Quelle stratégie TotalEnergies adoptera-t-il pour relancer le projet ?
En janvier, à l’occasion d’une tournée sur le continent, Patrick Pouyanné a rencontré le nouveau chef de l’État et son équipe. Comme son prédécesseur avant lui, Daniel Chapo s’est engagé à relancer les activités gazières à Afungi, site du projet Mozambique LNG. « Une bonne nouvelle », pour le groupe énergétique français.
« Les majors européennes, américaines et asiatiques iront sans doute jusqu’au bout dans l’exploitation des ressources gazières du Mozambique, à la fois en raison de l’énorme potentiel gazier du pays et de leur forte implication dans différents projets. La grande inconnue reste la date des premières opérations de production et des exportations », précise le directeur du cabinet Géopolia.
Poursuivi pour « homicide involontaire et non-assistance à personne en danger » au moment des attaques terroristes de 2021, TotalEnergies, qui rejette ces accusations, attend que l’état de force majeure soit levé pour reprendre le développement de son projet phare sur le continent, qui devrait livrer la première cargaison de GNL à l’horizon 2029, sinon en 2030.
4 – Le retard du projet a-t-il eu un impact sur les engagements des partenaires financiers ?
Après avoir accepté de financer le projet, la banque américaine Eximbank a mis son veto, sous l’administration Biden, à son prêt de 5 milliards de dollars. Selon le Financial Times, le Royaume-Uni et les Pays-Bas envisageraient de se dédire à leur tour après leur promesse de prêt destiné au groupe français et à ses partenaires, et dont le montant avait été fixé à 2,15 milliards de dollars.
« Dans certains pays on fait de la politique, mais nous, on reste dans le droit du contrat », rétorque Patrick Pouyanné lorsqu’on l’interroge au sujet des révélations du quotidien britannique. Le patron français espère que la situation évoluera sous l’administration Trump et qu’ « Eximbank confirmera son soutien au projet dans les prochains mois, si ce n’est dans les prochaines semaines ».
5 – Quels risques financiers TotalEnergies encourt-il en raison du décalage du calendrier opérationnel ?
La capacité de production de GNL Mozambique est de 13,1 millions de tonnes de GNL par an. Son engagement, d’un montant de 20 milliards de dollars, est un record, en Afrique, en matière d’investissement privé.
Maître d’œuvre du projet, TotalEnergies possède 26,5 % des parts du consortium au sein duquel il est associé aux compagnies indiennes ONGC Videsh (16 %), Bharat Petroleum (10 %) et Oil India Ltd (4 %), à la société thaïlandaise PTTEP (8,5 %), à l’entreprise publique mozambicaine ENH (15 %) et au japonais Mitsui (20 %).
« Le retard dans la mise en œuvre du projet n’engendrera pas nécessairement une baisse des revenus, estime Philippe Sébille-Lopez, mais le fait que ces revenus soient différés fragilise l’équilibre économique prévisionnel des projets et pourrait, in fine, en diminuer la rentabilité. » Pas de quoi s’inquiéter, nuance toutefois l’expert, car, « comme toutes les grandes compagnies, TotalEnergies a l’habitude de négocier avec les grands groupes bancaires internationaux ».
La multinationale attend le feu vert de trois agences de crédit pour mobiliser les fonds et pour reprendre la construction des deux trains de liquéfaction dès que l’état de force majeure sera levé.