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Énergies renouvelables : comment expliquer le succès du Sénégal ?

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JEUNE AFRIQUE| 26 mars 2020 à 13h42 | Par Estelle Maussion

Le pays de la Teranga a réussi à augmenter sa production électrique et à développer le renouvelable. Mais le Sénégal doit encore résoudre certaines faiblesses pour véritablement s’imposer comme un modèle régional.

« Taiba Ndiaye est une nouvelle étape dans la marche énergétique vers un Sénégal émergent. » C’est avec ces mots que le président Macky Sall a inauguré le parc éolien situé à 90 km au nord de Dakar fin février. Plus grand champ éolien d’Afrique de l’Ouest, il atteindra sa pleine capacité (158,7 MW) en mai, en avance sur le délai annoncé. Développé par la société Lekela Power, le site assure 15 % de la production électrique nationale, alimentant près de 2 millions d’habitants sur les 15 millions que compte le pays.

Surtout, il fait passer à 22 % la part du renouvelable dans le mix énergétique du Sénégal qui vise les 30% en 2025. Au pied des éoliennes, le chef de l’État a salué le travail des acteurs privés et de la Société nationale d’électricité (Senelec), évoquant déjà une extension. Symbole des progrès réalisés, Taiba N’Diaye illustre aussi la volonté du Sénégal de devenir un fer de lance de l’énergie propre et accessible dans la sous-région, notamment grâce à ses ressources gazières.

Une capacité de production plus que doublée

Un point fait l’unanimité : la situation s’est beaucoup améliorée ces dernières années grâce à l’augmentation des capacités de production. La puissance installée a plus que doublé en six ans, passant de 500 MW en 2012 à 1 141 MW en 2018. Résultats, les délestages à répétition des années 2010, qui pénalisaient populations et entreprises, sont devenus rares. « Le nombre d’heures de coupure par an a chuté de 900 en 2011 à 66 en 2016 et 72 en 2017 », souligne un ancien cadre de la Senelec. En parallèle, l’accent a été mis sur les énergies propres.

À L’ÉPOQUE, PERSONNE N’Y CROYAIT ET CELA NOUS A MÊME VALU DES CRITIQUES

« Quand nous avons signé les contrats d’achat d’électricité pour les premières centrales renouvelables en 2013, nous avons demandé aux promoteurs de s’aligner sur le prix du kWh (65 F CFA – 10 centimes d’euro) de la centrale à charbon de Sendou alors en construction. À l’époque, personne n’y croyait et cela nous a même valu des critiques », se souvient l’ex-responsable. Pourtant, trois ans plus tard, la première centrale solaire du pays (Senergy 2 à Bokhol) est mise en service, suivie d’autres en 2017, 2018 et 2019 à Santhiou Mekhe près de Thiès, Ten Mérina dans la commune de Mérina Dakhar, et Sakal dans le département de Louga, jusqu’au démarrage du champ éolien de Taiba Ndiaye à la fin de l’année dernière.

Investissements massifs du privé

Plusieurs facteurs expliquent cette avancée. « Le plus important, c’est la volonté politique », soulignent les professionnels interrogés, qui n’hésitent pas à comparer l’engagement présidentiel de Macky Sall à « l’impulsion royale » donnée par Mohammed VI au Maroc.

« Cela a permis d’avoir une société nationale en ordre de marche et qui s’est constituée une solide expérience dans la négociation de contrats, met en avant un bon connaisseur du secteur. Sans oublier l’effet sur la réactivité des gestionnaires d’infrastructures clés, comme les ports et les routes. »

Ont également joué : la stabilité politique du pays, ses bonnes performances économiques (avec une croissance annuelle supérieure à 6 % depuis 2014) et l’amélioration du climat des affaires (plus de 45 places gagnées au classement Doing Business depuis 2013).

Ce contexte a incité le secteur privé à investir massivement, devenant un acteur de premier plan. En 2020, les producteurs indépendants (IPP) devraient assurer 56 % de la production nationale d’électricité, contre 34 % pour la Senelec, le solde venant du Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA). Le Sénégal se distingue ainsi de ses voisins, par exemple de la Mauritanie où la production est entièrement publique, pour se rapprocher de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigeria, qui ont libéralisé ce secteur.

La place octroyée au privé a permis à l’État de se concentrer sur d’autres infrastructures tout en obtenant une livraison rapide des projets énergétiques. En outre, le jeu des appels d’offres combiné à l’action des bailleurs de fonds – parmi lesquels la Banque mondiale à travers l’initiative Scaling Solar – et à la réduction du coût des énergies renouvelables a tiré les tarifs vers le bas. Les français Engie et Meridiam ont remporté la construction de deux centrales solaires (à Kabone et Kael) avec l’électricité la moins chère d’Afrique de l’Ouest, moins de 4 centimes d’euro le kWh.

La souveraineté énergétique en question

Mais cette performance ne reflète pas la moyenne nationale, beaucoup de contrats, conclus de gré à gré, sont moins avantageux. Pour certains, le fait que la majeure partie de la production électrique soit gérée par le privé pose une question de souveraineté. D’autant que les principaux acteurs sont étrangers : libanais (Matelec), américain (ContourGlobal), suédois (Nykomb Synergetics) et britannique (Lekela Power) ; le fonds d’investissement Actis étant au capital de plusieurs de ces sociétés.

« Vu que la Senelec est l’unique acheteur de l’électricité et qu’elle dispose du monopole de la vente, les producteurs sont captifs, ce qui limite les risques », tempère le consultant en énergie Ahmadou Said Ba, ingénieur formé à l’Ensea, ancien cadre des équipementiers américain Visteon et français Valeo.

Inauguration par Macky Sall de la centrale éolienne de Taiba Ndiaye 24 février 2020.

Pour plusieurs observateurs, la principale faille du modèle sénégalais provient de sa dépendance aux importations de pétrole. Malgré les efforts pour développer le renouvelable, la production électrique reste encore majoritairement assurée par des centrales thermiques fonctionnant au fioul, même si cette proportion a baissé d’un cinquième entre 2017 et 2020, de 83 % à 67 %.À LIRE Énergie : la BAD et la banque de l’Union européenne disent non aux énergies fossiles

Cette difficulté touche particulièrement Senelec dont l’essentiel du parc est alimenté par cette ressource fossile. Or, à l’opposé de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigeria qui sont des producteurs d’or noir, le Sénégal doit s’alimenter en fioul depuis l’étranger, ce qui pèse sur les finances de l’État et de la Senelec.

Le « Gas to Power », l’autre stratégie

« À cela s’ajoutent les faibles capacités de raffinage et de stockage du pays – qui ne dispose que d’un seul opérateur sur ce créneau, la SAR – renchérissant le coût de l’approvisionnement », complète Ahmadou Said Ba. C’est ce qui explique des coûts de production encore élevés et, par ricochet, des tarifs de l’électricité parmi les plus chers d’Afrique de l’Ouest: 21 centimes de dollar le kWh contre 15 au Ghana et 9 en Côte d’Ivoire et au Nigeria en moyenne au quatrième trimestre de 2019.

Une faiblesse confirmée par le classement du Sénégal dans l’indice RISE de la Banque mondiale qui évalue les performances énergétiques des pays selon trois critères (accès, efficacité et part du renouvelable). En 2017, le Sénégal avait un score de 39 sur 100, au-dessus de la moyenne en Afrique subsaharienne (35) mais inférieur aux performances du Togo (41) ou de la Côte d’Ivoire (55).

CE MODÈLE DEVRAIT PERMETTRE D’ARRIVER À UN COÛT MOYEN COMPÉTITIF DANS LA SOUS-RÉGION ENTRE 2025 ET 2030

La découverte de ressources gazières et l’adoption de la stratégie « Gas to Power » (du gaz à l’électricité) va cependant changer la donne dans les prochaines années. En convertissant au gaz ses centrales polluantes et en continuant à développer les projets renouvelables, le Sénégal entend à la fois faire baisser les tarifs de l’électricité et verdir sa production énergétique.À LIRE Dakar et Nouakchott s’entendent sur l’achat-vente du gaz issu du projet Grand Tortue-Ahmeyim

« Ce modèle devrait permettre d’arriver à un coût moyen compétitif dans la sous-région entre 2025 et 2030 tout en maintenant une bonne qualité de service », prédit Ahmadou Said Ba, qui souligne que le Sénégal devrait également rejoindre la Côte d’Ivoire comme fournisseur de premier plan du réseau interconnecté EEEOA.

Pour réussir son pari, le pays doit aussi poursuivre ses efforts sur plusieurs fronts : augmenter ses capacités de production électrique de 40 à 50 MW par an pour répondre à la croissance de la demande ; achever l’électrification du territoire réalisée à 65% actuellement ; continuer la rénovation du réseau engagée en 2016 pour limiter les pertes et garder le rythme sur le renouvelable pour tenir l’objectif de 30% en 2025. Le chemin à parcourir reste long.

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