Boom ou effondrement ?: Les pays riches en minéraux profiteront-ils de la transition énergétique
Pour les pays possédant les ressources minérales recherchées, la transition énergétique est porteuse d’opportunités économiques ; toutefois, les risques liés à la corruption et à la gouvernance pourraient compromettre cet avenir prometteur.
La transition énergétique stimule la demande en minéraux, surtout ceux qui sont nécessaires aux technologies à faibles émissions de carbone, par exemple les panneaux solaires, les éoliennes et les véhicules électriques. Au cours des vingt prochaines années, la demande de certains de ces minéraux pourrait augmenter de 900 % ; pourtant, les innovations technologiques, au rythme où elles vont, jettent aussi un voile d’incertitude sur cette projection. Selon un nouveau rapport de l’ITIE, produit par l’Université du Queensland, les pays mettant en œuvre l’ITIE joueront probablement un rôle important dans la satisfaction de cette demande croissante.
Les responsables gouvernementaux de nombreux pays riches en minéraux sont enthousiastes à l’idée des perspectives économiques offertes par le secteur minier. Ils espèrent accueillir de nouveaux investissements qui apporteront de nouveaux revenus, emplois et débouchés pour les entreprises locales.
Mais pour convertir le potentiel des ressources naturelles en voies réelles de développement durable, une bonne gouvernance est indispensable (thème abordé dans ce nouveau rapport du Natural Resource Governance Institute [NRGI]). Au fil des ans, l’expérience a montré qu’un boom extractif s’accompagne souvent de risques de corruption, affectant d’autant les finances publiques – cf. pots-de-vin en échange de l’octroi des licences, évaluations environnementales et sociales inadéquates et manque à gagner en raison du recouvrement défaillant des impôts. Dans certains cas, la simple anticipation d’un léger mieux dans les investissements peut même déstabiliser les économies des pays riches en minéraux.
Corruption dans les procédures d’octroi de licences et de marchés
Sur le plan économique, un boom minier représenterait une aubaine pour ces pays et, en même temps, la porte ouverte à la corruption. L’un des risques majeurs à cet égard est lié à l’octroi de licences ou de permis d’exploitation minière. Dans de nombreux pays, les autorités gouvernementales cherchent à accélérer les processus d’autorisation et se hâtent d’approuver les nouveaux projets miniers. Au Pérou, par exemple, les consultations auprès des communautés ont été simplifiées, et au Brésil une politique a été adoptée visant à accélérer l’approbation des projets miniers d’importance stratégique. L’avalanche de demandes de permis met à rude épreuve les capacités des autorités compétentes et, dans ces circonstances, les entreprises peuvent être de plus en plus tentées d’offrir des pots-de-vin pour accélérer les approbations, en particulier dans le contexte actuel, hautement spéculatif, caractérisé par une concurrence géopolitique entre les superpuissances économiques pour garantir l’approvisionnement en « minéraux de transition ».
Les fonctionnaires peuvent également se sentir forcés d’arrondir les angles et de passer outre les vérifications liées au devoir de diligence, ce qui augmente le risque que des entreprises politiquement connectées (et/ou non proprement qualifiées) acquièrent des droits miniers, ou que les évaluations sociales et environnementales soient bâclées ou manipulées. Cela peut être particulièrement problématique car certains minéraux de transition se trouvent dans des zones non encore exploitées et écologiquement fragiles, dans des pays sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux. Par exemple, les projets miniers situés dans le « triangle du lithium » – entre l’Argentine, le Chili et la Bolivie – pourraient mettre à mal les ressources en eau déjà limitées de la région.
De même, les procédures d’acquisition de biens et de services par les entreprises minières sont un terrain vulnérable à la corruption. Selon des études menées par l’OCDE, il s’agit là d’un risque majeur dans le secteur minier.
Mais d’un autre côté, la transparence et le dialogue multipartite peuvent contribuer à mitiger ces risques. Les gouvernements ont le devoir de justifier clairement tout processus d’octroi de licence « accéléré » et d’allouer suffisamment de temps et de moyens pour procéder aux vérifications préalables. Pour leur part, les entreprises minières peuvent appuyer les efforts de lutte contre la corruption en s’engageant à suivre de solides pratiques démontrant leur intégrité ainsi que des procédures adéquates liées à leur propre devoir de diligence, au niveau de toutes leurs divisions. Les attentes de l’ITIE vis-à-vis des entreprises qui la soutiennent, auxquelles adhèrent plusieurs des plus grandes compagnies minières internationales, constituent un bon point de départ.
Incertitude concernant les finances publiques
Mais même si un pays possède d’abondantes réserves minérales, une faible gouvernance et l’absence de transparence peuvent être un frein pour les investisseurs éventuels. Par exemple, en l’absence de données géologiques solides et accessibles au public, un pays pourrait avoir du mal à attirer des compagnies minières de renom et responsables. Seuls quatre pays mettant en œuvre l’ITIE – la Colombie, l’Indonésie, le Kazakhstan et la Mongolie – ont adopté le guide des bonnes pratiques du CRIRSCO relatives à la déclaration publique des résultats de travaux d’exploration, des ressources et des réserves minérales.
Face au développement du secteur, les pays producteurs et les investisseurs pourraient ne pas être en mesure de prendre des décisions en toute connaissance de cause, en raison notamment de l’incertitude des perspectives économiques. La volatilité des prix entraîne en général une imprévisibilité des flux de revenus et des problèmes de planification macroéconomique. Les États pourraient recueillir moins de recettes que celles projetées par les fonctionnaires, compte tenu de l’opacité de la structure financière des sociétés intervenant dans la chaîne de valeur des minéraux de transition. En 2018, à la suite d’allégations d’abus en matière de prix de transfert, le Chili a dû créer un comité chargé de superviser les contrats de lithium.
Les pays riches en ressources ont le devoir de promouvoir la transparence et la redevabilité du secteur pour atténuer ces risques et réaliser tout leur potentiel minier. Pour ce faire, ils sont encouragés à publier des informations plus détaillées sur leurs réserves et le potentiel économique des minéraux de transition, à renforcer la surveillance des flux de revenus et des relations financières des entreprises, et à adopter des politiques allant dans le sens d’une planification économique à long terme et une prise de décisions transparente.
Opacité du commerce des matières premières et de la participation des États
Alors que les pays riches en ressources minérales de transition cherchent à tirer parti de la forte concurrence qui prévaut au niveau mondial pour leur obtention, certains d’entre eux cherchent en même temps à élargir le rôle de leurs entreprises d’État intervenant dans le secteur minier. Par exemple, en République démocratique du Congo, le gouvernement a récemment constitué une Entreprise Générale du Cobalt (EGC) pour gérer tout le cobalt extrait par les artisans mineurs. En Indonésie, ce sont les entreprises d’État qui gèrent le commerce de l’étain, du nickel, de la bauxite et d’autres minéraux.
Le manque de transparence des flux de revenus entre les gouvernements et les entreprises publiques est un risque connu, en particulier lorsqu’elles interviennent dans la vente de la part de production correspondant à l’État. Si le secteur des hydrocarbures a été particulièrement vulnérable à la corruption qui entache le commerce des matières premières, le secteur minier pourrait être confronté à des travers similaires à mesure que les gouvernements décident de faire appel aux entreprises d’État pour tirer parti de la demande croissante de minéraux de transition.
Dans les pays qui tablent sur un rôle de plus en plus important de leurs entreprises publiques, il est important que les autorités soient conscientes des risques liés à la gouvernance et à la corruption et mettent en place des mesures d’atténuation, à la fois pour les entreprises d’État et pour leurs partenaires commerciaux. À l’instar des entreprises du secteur privé, il n’y a pas de raison que les entreprises du secteur public ne puissent pas fonctionner avec intégrité, à chaque niveau de structure, et s’engager à mettre en place et à suivre des procédures d’évaluation des risques et des contrôles dans le cadre de leur propre devoir de diligence, notamment lorsqu’elles traitent avec les négociants en matières premières.
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Les expériences passées montrent que seul un secteur minier bien géré pourra contribuer au développement durable des pays riches en minéraux. Sans garanties de gouvernance fiable et de réels efforts de lutte contre la corruption, ces pays pourraient voir s’échapper des revenus potentiels, dissuader les investissements, rater l’occasion de diversifier leur économie et accroître les risques d’impacts socio-environnementaux négatifs. En conséquence, le boom minier pourrait ne pas tenir toutes ses promesses économiques et la transition énergétique échouer à faire avancer la décarbonisation mondiale à la vitesse nécessaire, ou la faire progresser au détriment des citoyens des pays riches en minéraux.
Sebastian Sahla est Policy advisor à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives. Matthieu Salomon est Acting governance programs director et Senior governance officer au Natural Resource Governance Institute.
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