Indice de Gouvernance des Ressources : Explications méthodologiques (NRGI)
Natural Resource Governance Institute reviens sur l’indice 2021 de gouvernance des ressources pétrolières et gazières du Sénégal publié en aout 2021. Après la publication de cet indice, il y a eu beaucoup de réactions de la part des acteurs de tous bords. Certains membres de la Société Civile n’ont pas compris le caractère « prématuré et les résultats élevés pour un pays qui n’a pas démarré la production de pétrole et de gaz ». NRGI apporte des précisions.
Depuis juin 2021, Natural Resource Governance Institute (NRGI) a publié l’Indice de gouvernance des ressources (RGI) sur 18 pays dans le monde, y compris le Sénégal dont les évaluations du secteur des hydrocarbures et du secteur minier réalisées pour la première fois avec le RGI ont été publiées le 12 aout 2021. L’édition 2021 du RGI a généré des centaines de questions lors des événements de lancement dans différents pays, et NRGI publiera début 2022 sur son site web les réponses aux questions les plus fréquemment posées, en complément du document méthodologique du RGI qui y figure déjà.
Pour ce qui est du secteur des hydrocarbures au Sénégal, nombre d’observateurs avaient loué l’originalité de l’exercice, tandis que d’autres avaient pointé des aspects de l’évaluation qui méritent des explications. La présente publication vise à apporter des clarifications méthodologiques, en particulier en ce qui concerne quatre sujets : la période d’évaluation, la composante relative aux conditions générales de gouvernance, le classement du Sénégal par rapport à d’autres pays, et le caractère jugé prématuré de l’évaluation du Sénégal.
- La période d’évaluation et ses implications
La période d’évaluation du RGI 2021, au Sénégal comme ailleurs, couvre les années 2019 et 2020, prenant en compte uniquement les décisions et réformes intervenues au cours de ces deux années. C’est ainsi que le scandale PetroTim éclaté en 2019 ne pouvait être intégré dans cette évaluation RGI car il concernait des décisions prises entre 2011 et 2017. NRGI en avait néanmoins publié une analyse détaillée sur son site web en juin 2019 pour mettre en lumière les failles dans les règles et les pratiques en matière d’attribution des titres pétroliers au Sénégal.
Dans le RGI 2021 du Sénégal, la sous-composante relative aux processus d’attribution des titres pétroliers a reçu le score le moins élevé des sous-composantes. Ceci est dû au fait que des réformes importantes accomplies récemment par le gouvernement n’ont pas été prises en compte dans le calcul du score, puisqu’ils ont eu lieu au cours de l’année 2021, donc hors de la période d’évaluation. Parmi ces réformes, on peut citer la mise en ligne du cadastre pétrolier depuis le 18 mai 2021 et la divulgation de tous les contrats pétroliers et gaziers sur plusieurs sites web dont celui du Comité National de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE).
Au nombre des réformes encore attendues, l’évaluation RGI 2021 a recommandé au Ministère du Pétrole et des Energies de systématiquement rendre publique la liste des candidats aux titres, de divulguer les informations sur les propriétaires effectifs de l’ensemble des titres pétroliers et gaziers, et de rendre obligatoire pour le personnel de l’Etat et des entreprises publiques la déclaration publique de leurs participations dans les entreprises opérant dans le secteur des hydrocarbures.
NRGI a publié sur son site web avant fin 2021 une note d’analyse portant spécifiquement sur les progrès réalisés en matière d’attribution des titres pétroliers et gaziers au Sénégal et sur les pistes à explorer par le gouvernement pour resserrer en la matière l’écart entre les règles et les pratiques, que nous désignons en anglais par implementation gap.
- Le traitement des données relatives aux conditions générales de gouvernance
L’intégration des données relatives aux conditions générales de gouvernance dans le score du RGI mérite une clarification. Ces données ne sont pas produites par NRGI elle-même mais proviennent de sources externes et publiques crédibles, notamment les indicateurs mondiaux de gouvernance (WGI) et le répertoire des données ouvertes (ODIN). Ces données disponibles en ligne ne se présentent pas sous la forme d’un score sur 100 comme celles du RGI. Elles doivent donc être transformées pour une prise en compte rigoureuse dans l’indice par une méthode de traitement de données bien connue appelée le rang centile. En voici le procédé.
Prenons l’exemple de la sous-composante ‘Contrôle de la Corruption’ au Sénégal : la donnée en ligne sur le site web des indicateurs mondiaux de gouvernance (WGI) est 0,0484844 alors que le RGI indique pour cette sous-composante un score de 85. Le traitement au rang centile figure dans le tableau ci-après.
Sénégal – Traitement par NRGI de la sous-composante Contrôle de la Corruption
Etape | Valeur | Commentaires sur le traitement de la donnée |
1. Valeur brute | 0.0484844 | Cette valeur brute pour 2021 vient de la base de données WGI en ligne. Étant donné que le reste du RGI est sur une échelle de 0 à 100, nous devons la retraiter. |
2. Classement | 71/84 | Nous vérifions le rang de cette valeur brute dans l’échantillon des 84 pays (considérés dans l’édition 2017 du RGI), les pays étant classés du moins au plus grand score de cette sous-composante. Le Sénégal se positionne au 71e rang sur les 84 pays (le 84e étant donc le meilleur score). Nous avons retenu 84 pays pour garder la comparabilité entre les données 2017 et 2021 sur la composante ‘Conditions générales de gouvernance’. |
3. Normalisation au rang centile | 84.52 | Nous transformons ensuite cette fraction en un rang centile, par règle de trois : 71/84 correspond à 84,52/100. Nous obtenons ainsi le score de la sous-composante ‘Contrôle de la corruption’ du Sénégal pour le RGI 2021. |
4. Arrondissement au score final | 85 | La dernière étape consiste simplement à arrondir ce nombre à l’entier le plus proche, c’est-à-dire 85. |
Ce traitement au rang centile a été accompli sur chacune des sous-composantes des Conditions générales de gouvernance, de manière à conférer au RGI 2021 la même rigueur méthodologique que pour l’édition 2017.
- Le classement général du Sénégal par rapport à d’autres pays
Après la publication du RGI du Sénégal, certaines publications ont tenté une comparaison du Sénégal avec d’autres pays comme la Norvège. Une telle approche s’avère méthodologiquement incohérente dans la mesure où la Norvège n’a pas été évaluée en 2021 avec le RGI, mais plutôt en 2017, tandis que le Sénégal n’avait pas été évalué en 2017.
En d’autres termes, avec les données du RGI, on ne peut rigoureusement pas faire une comparaison entre l’état de la gouvernance du secteur des hydrocarbures de la Norvège et celui du Sénégal. En revanche, des comparaisons peuvent être faites pour le secteur des hydrocarbures entre le Sénégal et d’autres pays évalués avec le RGI en 2021, comme la République Démocratique du Congo, le Ghana, Nigéria et l’Uganda.
Il convient de préciser que la petite taille de l’échantillon de 18 pays de l’édition 2021 du RGI ne permet pas d’établir un classement général des pays. Un rapport global du RGI 2021 que NRGI vient de publier indique les résultats que nous pouvons dégager de l’édition 2021.
- Le caractère jugé prématuré de l’évaluation du Sénégal
Quelques participants au lancement du RGI 2021 du Sénégal s’étaient interrogé sur la pertinence de l’évaluation du secteur des hydrocarbures au Sénégal alors que le secteur est encore en phase de développement.
Tout d’abord, le but du RGI est de fournir aux parties prenantes des données factuelles pour identifier dans la chaine décisionnelle de la gouvernance des ressources extractives les réformes à accomplir. Un des moments clés pour procéder à une telle évaluation c’est quand le secteur en est à ses débuts et que, comme au Sénégal, les parties prenantes recherchent encore les meilleurs moyens pour mettre en valeur les ressources. L’expérience d’autres pays a montré que, dans ces conditions, les parties prenantes sont plus enclines à s’inspirer des bonnes pratiques que lorsqu’elles ont déjà mis en place des institutions et organisations par nature difficiles à réformer.
En ce qui concerne le score élevé du Sénégal, il est dû principalement à ses performances élevées dans les conditions générales de gouvernance. Il est aussi dû pour partie à la jeunesse du secteur et notamment au fait que certains domaines de la chaine décisionnelle sont encore en débat, comme le fonds souverain et les mécanismes de partage de revenus au niveau infranational où il est difficile d’obtenir la note complète dans le RGI. Ces domaines ont été considérés comme non applicables pour le calcul du score RGI pour le secteur des hydrocarbures du Sénégal.
Il s’agit du reste des domaines de gouvernance que les gouvernements peuvent choisir de ne pas développer car les fonds souverains et les mécanismes de partage de revenus avec les collectivités ne s’imposent pas dans tous les contextes. Si le gouvernement du Sénégal met en place avec le fonds intergénérationnel qui sera un fonds souverain au sens du RGI, c’est-à-dire qui répond à la double exigence d’accueillir uniquement des revenus pétroliers et gaziers et d’investir essentiellement à l’étranger, une prochaine édition du RGI pourra l’intégrer dans l’évaluation.
Quant aux transferts infranationaux de revenus d’hydrocarbures, cette sous-composante est considérée également comme non applicable, car le gouvernement sénégalais n’a pas exprimé l’intention de mettre en place un tel mécanisme dans le secteur. Le transfert de revenus pétroliers et gaziers aux collectivités n’est pas une pratique courante dans le monde, et l’est encore moins pour des exploitations offshores (en mer) et les pays non fédéraux.
Dans le cas du Sénégal, pays non fédéral, les principaux projets sont en offshore ; le mécanisme le plus adapté consiste alors en la compensation individuelle et collective des impacts environnementaux et sociaux, et non en un mécanisme de partage de revenus. Cela étant, si le gouvernement sénégalais venait à décider de la mise en place d’un mécanisme de transfert infranational de revenus d’hydrocarbures, celui-ci serait pris en compte dans le score d’une prochaine édition du RGI. Sur ce sujet précisément, NRGI vient de publier une note d’analyse qui aborde de manière plus détaillée les défis liés à la gestion des revenus pétroliers et gaziers au Sénégal.
Plus largement, pour poursuivre le débat, NRGI invite les parties prenantes du secteur des hydrocarbures au Sénégal à parcourir le questionnaire contenant l’ensemble des indicateurs évalués avec le RGI ainsi que les justifications fournies pour chaque score attribué.
Pour plus d’informations sur le RGI et le travail de NRGI au Sénégal, des ressources sont disponibles à travers ces liens :
- Sur la méthodologie RGI : https://api.resourcegovernanceindex.org/system/documents/documents/000/000/409/original/2021_RGI_Method_Paper_French.pdf?1623857324
- Sur les données RGI du Sénégal et d’autres pays : https://resourcegovernanceindex.org/publications-data/data-workbooks
- Sur le profil du Sénégal et d’autres pays : https://resourcegovernanceindex.org/publications-data/country-profile-downloads
- D’autres articles et publications : https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2021-08-12/comment-le-senegal-peut-il-atteindre-l-excellence-dans-la-gouvernance-de-ses-ressources-extractives-890553.html ou encore https://resourcegovernance.org/sites/default/files/documents/opportunites_et_defis_pour_le_senegal_dans_le_domaine_de_la_production_petroliere_et_gaziere.pdf
Dr Hervé Lado est West and Central Africa Regional Manager (Francophone) de NRGI, et Abdoulaye Ba est Africa Research and Data Officer chez NRGI.