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L’Afrique francophone face aux enjeux de la transition énergétique

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Lors de la COP26, en 2021, les gouvernements du monde ont appelé à une intensification rapide du déploiement des énergies propres dans le cadre d’une transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions afin de lutter contre le changement climatique. Pour les pays africains riches en ressources naturelles, cette transition pourrait avoir un impact aussi bien positif que négatif sur leurs économies. Pour les pays producteurs de minerais essentielles comme la République Démocratique du Congo (RDC), la transition énergétique peut créer de nouvelles opportunités économiques associées à une demande mondiale croissante de ces minerais. En revanche, pour les pays producteurs et dépendants des exportations des hydrocarbures, notamment le pétrole, la chute de la demande et des prix des combustibles fossiles qui est attendu à moyen ou long terme pourrait avoir comme conséquence une stagnation ou un choc au niveau de leurs économies sans la poursuite active d’un plan de transition énergétique bien conçu et d’une bonne gouvernance pour assurer sa mise en œuvre efficace.

C’est fort de ce constat et du dilemme auquel certains pays africains riches en ressources naturelles font face que NRGI, à travers le Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF), a organisé une conférence sur les enjeux de la transition énergétique en Afrique dans le cadre de la 11e session de l’université d’été sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone.
Après la conférence, j’ai échangé avec l’un des panélistes de la conférence, M. Mahaman Laouan Gaya du Niger. Expert international sur les politiques et industries pétrolières et énergétiques, il a été Secrétaire Général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains. Ensemble nous avons revisités quelques questions posées par les participants pendant la conférence.

Quel est le rôle de l’Afrique dans la transition énergétique ? Est-elle juste un continent producteur de minerais essentiels à cette transition ?
Mahaman Laouan Gaya : L’Afrique a beaucoup à apporter dans la transition énergétique mondiale et son rôle ne se limite pas seulement à pourvoir en minerais stratégiques. Le continent joue déjà un rôle très important dans la réalisation des objectifs de réduction des émissions à l’échelle globale et pourrait tirer meilleur profit de la dynamique de transition vers des énergies propres en optant pour des choix appropriés au contexte local. A ce titre, je rappelle que la Commission Africaine de l’Energie (AFREC), sous l’égide de la Commission de l’Union Africaine, a élaboré un programme africain de transition énergétique. Ce programme fournit une définition claire des transformations du système énergétique nécessaires à court, moyen et long terme pour réaliser la transition énergétique et est destiné à transformer le développement énergétique en Afrique. Soulignons que les ressources énergétiques tant d’origines fossiles (pétrole, gaz, charbon, uranium) que renouvelables (biomasse, solaire, hydraulique, éolienne, géothermie, hydrogène, déchets urbains, etc.) sont exceptionnellement abondantes en Afrique. Par ailleurs, le continent possède également des minerais critiques, tels que les terres rares, le lithium, le cobalt, le coltan, le cuivre et le titane, en très grande quantité. La transition énergétique implique donc pour l’Afrique des approches intégrées qui offrent aux pays des options concernant l’exploitation de leurs potentiels en ressources en hydrocarbures (charbon, pétrole et gaz) et en minéraux (métaux rares, uranium). Au vu de tout cela, nous devons repenser le concept de transition énergétique pour qu’il soit plus adapté aux réalités africaines.

Lors de la COP 26 tenue à Glasgow en Ecosse, certains pays et certaines institutions ont plaidé pour un désinvestissement des énergies fossiles à partir de 2022 afin de répondre aux préoccupations climatiques. Que pensez-vous de cette initiative ?
En effet, en marge de la Conférence de Glasgow de 2021 sur les changements climatiques, ou COP 26, tenue à Glasgow (Ecosse), et à l’initiative du Royaume-Uni à l’occasion de la Journée de l’énergie, 19 pays occidentaux et certaines institutions, se sont collectivement engagés à mettre un terme au financement public international des combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz) à partir de la fin de 2022.

Selon mon analyse, l’application d’une telle mesure sera difficile, voire quasi impossible, dans le contexte actuel et ceci pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, les énergies fossiles représentent 84,3 pourcent du bilan énergétique de la planète (avec 33,1 pourcent du pétrole ; 27 pourcent du charbon ; et 24,2 pourcent du gaz naturel) ; les énergies renouvelables 11,4 pourcent et l’énergie nucléaire 4,3 pourcent ; ce n’est donc pas de sitôt que cette tendance pourrait être inversée. Selon le bilan annuel du Global Carbon Project (GCP), publié le 4 novembre 2021 (en pleine COP 26), les émissions mondiales de CO2 dues à la combustion d’énergies fossiles et à l’industrie devraient « rebondir en 2021 près du niveau d’avant COVID après une baisse sans précédent en 2020 » ; et ces émissions de carbone pourraient s’élever à 36,4 milliards de tonnes en fin 2021. Ce niveau serait supérieur de 4,9 pourcent à celui de 2020 (34,8 Gt CO2) et légèrement inférieur à celui de 2019 (36,7 Gt CO2).

Pour leur part, les pays africains, sans trop s’inquiéter de cette décision, doivent néanmoins participer activement à la lutte contre le changement climatique en promouvant les énergies de substitutions (énergies renouvelables, hydrogène, énergies de récupération, …), par l’accroissement substantiel de l’efficacité énergétique, l’utilisation des technologies de captage et de stockage du carbone, la multiplication des initiatives de restauration de l’environnement, entre autres. L’arrêt brutal et systématique de la production des énergies fossiles me parait pour l’instant peu ou pas envisageable par les pays africains.

Est-ce que la transition énergétique à une chance d’être écologique ?
Permettez-moi d’abord de dire qu’il y a une différence entre « transition écologique » et « transition énergétique ». La « transition écologique », qui est une réponse au réchauffement climatique, englobe la « transition énergétique » mais également d’autres aspects comme la transition alimentaire, l’aménagement des territoires, le développement urbain, l’écomobilité, la préservation de la biodiversité, la déforestation, l’accumulation des déchets non recyclables, la gestion des déchets recyclables, etc.

Partant de ce postulat, penser « transition écologique » en Afrique revient à réfléchir aux enjeux économiques, écologiques, urbains, sanitaires, sociaux et politiques d’un continent en quête de développement économique et dont le taux de croissance démographique est exceptionnellement en très forte croissance.

Que faut-il pour une transition énergétique juste et équitable envers l’Afrique ? 
Toute politique énergétique doit aujourd’hui inclure la transition énergétique ; elle peut être globale, sous-régionale ou nationale mais ne peut dépendre que des réalités du pays dans laquelle se joue cette politique. Il n’y a donc pas de repère, ni de référence, encore moins de dépendance vis-à-vis d’un autre pays au point d’apprécier sa justesse ou son équité. Nous avons nos réalités africaines, nos potentialités (abondantes ressources énergétiques : charbon, pétrole, gaz, uranium et métaux stratégiques), nos productions, nos consommations énergétiques et, par conséquent, nous devons avoir nos politiques et notre gouvernance propre à nous en la matière. Disposant également de minerais tels que le lithium et les métaux de terres rares nécessaires pour propulser la révolution des énergies renouvelables, l’Afrique a tout ce qu’il faut pour une transition énergétique juste et équitable propre à elle-même.

L’Afrique dispose déjà d’un programme de « transition énergétique » destiné à transformer son développement énergétique dans le cadre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Toute politique énergétique, en Afrique en particulier, doit aller dans le sens des grandes orientations pétrolières et énergétiques mondiales énoncées par les Nations Unies (avec l’Initiative SE4All et le 7ème Objectif de développement durable (ODD 7)), l’Union africaine (avec la Vision Minière pour l’Afrique), le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), la Banque africaine de développement (avec le « New Deal for Energy in Africa »), et le Conseil mondial de l’énergie (avec la Résolution du Trilemme Energétique Mondial). Les pays africains et les institutions panafricaines doivent clairement agir individuellement et collectivement pour surmonter les obstacles structurels et faire de l’accès universel aux énergies modernes et de la décarbonation une réalité ; il ne reste qu’au politique de s’y mêler.

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Comme M. Gaya, le courant de pensée qui prédominerait actuellement dans plusieurs pays africains, notamment d’Afrique francophone, serait de privilégier une transition énergétique qui prend en compte les réalités africaines, dont le besoin en développement et l’accès à l’électricité. Cette posture a davantage été amplifiée à travers une position commune africaine adoptée par l’Union Africaine en juillet dernier en prélude à la COP27 qui se déroulera en Egypte en novembre 2022.

Au regard des différents courants de pensées qui s’opposent face aux enjeux et défis de la transition énergétique, l’équité et la bonne gouvernance sont essentielles pour une transition énergétique juste. L’équité doit être un principe central guidant la réduction progressive des combustibles fossiles afin de ne pas aggraver les inégalités dont le secteur extractif a souffert. Les pays les plus riches et les plus émetteurs, et qui ont le plus profité de l’extraction, doivent être les premiers et les plus rapides à réduire leurs émissions. D’un point de vue économique et moral, demander aux autres pays, en particulier aux producteurs à faible revenu ayant une empreinte carbone faible, d’agir plus rapidement que les producteurs plus riches et plus polluants ne se justifie pas. Néanmoins, tous les pays doivent prendre des mesures pour limiter la dépendance à long terme à l’égard du secteur extractif en déclin et pour construire des économies où les citoyens pourront s’épanouir dans un avenir à faible émission de carbone.

Lucain Nyassi Tchakounte est associé du programme régional pour l’Afrique francophone a NRGI.

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