BP évite in extremis une nouvelle crise avec Dakar et Nouakchott sur les cash call du projet Grande Tortue-Ahmeyim
En visite à Nouakchott puis à Dakar, le vice-président de BP est parvenu à calmer certaines tensions autour du projet gazier de Grand Tortue Ahmeyim. Parmi celles-ci, le refus de Petrosen de valider des appels de fonds.
La visite du vice-président de BP, Gordon Birrell, à Nouakchott, le 20 janvier, a largement contribué à aplanir certains sujets sensibles relatifs au développement du gisement gazier de Grand Tortue Ahmeyim (GTA). Le numéro deux du groupe a été reçu au palais présidentiel par le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, en présence des ministres du pétrole du Sénégal, Birame Soulèye Diop, et de la Mauritanie, Mohamed Ould Khaled. Afin de lever toute ambiguïté sur les intentions futures de BP dans le projet, Gordon Birrell a également fait un saut à Dakar pour rencontrer le président Bassirou Diomaye Faye.
Des deux côtés de la frontière, les sujets de friction ne manquent pas dans ce dossier, mais le séjour ouest-africain de Gordon Birrell a permis de faire avancer le plus urgent d’entre eux : celui des appels de fonds en souffrance. Depuis plusieurs mois, la société pétrolière sénégalaise Petrosen rechignait à valider ces contributions financières, correspondant à sa participation de 10 % dans le projet, mais le conflit est désormais en cours de résolution. Dans une mise en demeure datée du 28 novembre, Massaer Cissé, vice-président de BP au Sénégal, l’avait sommée de signer enfin ces cash calls, essentiels à la poursuite des opérations de GTA, entré en production en décembre 2024. Dans ce document de deux pages, Massaer Cissé rappelait alors que Petrosen était en défaut, n’ayant pas validé les appels de juillet et d’octobre.
Avance des coûts
La participation de Petrosen, comme celle de la Société mauritanienne des hydrocarbures (SMH), sur GTA, est “portée” (supportée) par les partenaires privés, à savoir BP et Kosmos Energy. Ce modèle, qui permet aux sociétés publiques de ne rien débourser pendant le développement du gisement, repose sur l’avance des coûts par BP et Kosmos Energy, remboursables sur les revenus futurs. Cependant, la signature par Petrosen et SMH des documents validant les cash calls, envoyés par le consortium chargé du développement, est indispensable pour la poursuite du processus.
Le refus de signer les appels de fonds en 2024 avait été en partie dicté par le directeur général de Petrosen Holding, Alioune Guèye. Ce proche du premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, voyait dans cette stratégie un levier pour peser sur le budget 2025 de GTA face à BP et Kosmos Energy. Il espérait également renégocier certaines dispositions des accords signés entre Dakar et BP, notamment en raison des coûts passés, jugés excessifs. Alioune Gueye est l’un des hommes forts de la commission mise en place en août 2024, chargée de réfléchir aux moyens de renégocier les contrats miniers et pétroliers signés durant la présidence de Macky Sall (2012-2024). Il dirige la sous-commission sur les hydrocarbures.
Fin 2024, ce blocage de Petrosen avait inquiété la Mauritanie, qui espère plus que tout que la première phase ne soit pas la dernière. Lors de son séjour à Nouakchott, du 16 au 18 janvier, Ousmane Sonko s’était entretenu avec Mohamed Ould Ghazouani afin de coordonner leurs efforts en vue de garantir le développement des futures phases du projet. La Mauritanie craint que BP ne lance jamais la deuxième étape (2,5 millions de tonnes), a fortiori si les difficultés sur la première (également 2,5 millions de tonnes) se multiplient.
Audit de Mazars
Du fait des énormes investissements de la première phase, celle-ci ne générera que très peu de profits pour les deux États : quelques dizaines de millions de dollars pour chacun en 2025. Un montant appelé à augmenter chaque année, à mesure que les investissements seront amortis. Parallèlement, le pouvoir à Dakar, en place depuis l’élection du 24 mars 2024, compte utiliser les résultats de l’audit de Mazars sur les coûts de GTA pour mettre BP sous pression et obtenir de plus importants revenus.
Le refus de valider les cash calls n’est pas le premier incident depuis l’arrivée d’Alioune Gueye à la tête de Petrosen Holding. Comme nous l’avions révélé, une tension diplomatique avec la Mauritanie avait été évitée de justesse lorsque Alioune Gueye avait souhaité baptiser l’un des quatre navires de support (les bateaux de soutien aux opérations de BP sur le gisement gazier de GTA) Talatay Nder. Ce nom, qui signifie “mardi sanglant” en wolof, fait référence à une tragédie vécue par les femmes du village de Nder, dans la province nord du Sénégal, frontalière avec la Mauritanie, en mars 1820. Une conciliation avait finalement permis d’éviter toute escalade.
La relation entre le patron de Petrosen Holding et les pétroliers au Sénégal a, elle aussi, connu quelques remous. Le 23 septembre 2016, alors qu’il n’occupait pas encore son poste actuel, Alioune Gueye avait publié un article sur les sites sénégalais en ligne intitulé : “L’analyse financière des états financiers de Kosmos Energy confirme un paiement à Timis”. Il soutenait que d’importants montants avaient été versés par Kosmos Energy à l’homme d’affaires Frank Timis afin d’acquérir les blocs de Cayar Offshore Profond et Saint-Louis Offshore Profond. Le 6 octobre de la même année, il avait dû revenir sur ses propos, déclarant que ses conclusions publiées dans l’article étaient “incorrectes”.