Empreinte carbone française moyenne, comment est-elle calculée ?
I. Contexte
Depuis la dernière mise à jour d’octobre 2021 par le Ministère de la Transition écologique (MTE), l’empreinte carbone1 moyenne en France en 2019 – dernière année de calcul hors COVID-19 – s’élève à 9,0 tonnes de CO2eq2 par personne. Nous avons expliqué dans ce post LinkedIn quelle était la principale évolution méthodologique de cette mise à jour importante.
La méthode utilisée est basée sur des calculs « input-output », issus des tableaux entrées-sorties symétriques de la comptabilité nationale, et prend en compte les 3 principaux gaz à effet de serre (GES) : le dioxyde de carbone (CO2) fossile, le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O).
Plusieurs limites ressortent de cette empreinte carbone calculée par le ministère : l’absence de prise en compte de la déforestation importée (car CO2 biogénique3), de 3 autres GES (HFC, PFC et SF6) et de la vapeur d’eau des trainées de condensation des avions. Cette publication vise ainsi à expliquer comment nous avons « complété » cette empreinte carbone, en comblant ces 3 limites identifiées, et à partager nos résultats.
II. Notre point de départ : 9,0 tCO2eq/an
Les derniers tableaux entrées-sorties (TES) du ministère évaluent l’empreinte carbone moyenne d’un français à hauteur de 9,0 tCO2eq/an. Ces émissions sont réparties en 64 branches d’activités ou de produits, représentées par des codes NAF (Nomenclature d’Activité Française), et divisées entre dépense privée et publique. Nous pouvons donc savoir pour chaque branche d’activité « productrice » (qui vend) et pour chaque branche « consommatrice » (qui achète) quelles sont les émissions liées à la dépense privée et celles liées à la dépense publique.
À partir de ces données, nous établissons une répartition des postes d’émission en 5 catégories4, listées ici de la plus émissive à la moins émissive :
- Je me déplace (transports)
- Je mange (alimentation)
- Je me loge (logement)
- J’achète (achats de biens et services)
- Dépense publique (services publics)5
III. Nos ajouts : +0,9 tCO2eq/an
Nous ajoutons ensuite plusieurs éléments à cette base de 9,0 tCO2eq/an.
Le premier correspond aux trainées de condensation, c’est-à-dire les nuages observés derrière les avions et créés par la condensation de la vapeur d’eau émise par leurs moteurs. Ces trainées de condensation n’étant pas prises en compte dans l’empreinte carbone publiée par le ministère, nous les ajoutons par souci d’exhaustivité à notre empreinte puisqu’elles contribuent également à l’effet de serre. Elles sont ainsi responsables de 186 kgCO2eq/an d’émissions de GES par personne6, que nous ajoutons au poste Je me déplace – Avion.
Nous ajoutons ensuite les émissions liées à la déforestation importée (CO2 biogénique) c’est-à-dire les émissions de GES engendrées par la déforestation ayant lieu à l’étranger, mais dues à notre consommation. Ces émissions sont doubles : on compte à la fois les émissions liées au brûlage de la forêt (émissions instantanées) et celles associées à la suppression des puits de carbone (émissions futures).
Nous nous appuyons principalement sur l’étude Agricultural and forestry trade drives large share of tropical deforestation emissions (Pendril & al.), publiée en 2019 et citée par le Haut Conseil pour le Climat dans son rapport Maitriser l’empreinte carbone de la France. En nous basant sur cette étude, on peut répartir les 402 kgCO2eq/an liés à la déforestation importée :
- 201 kgCO2eq/an pour la catégorie Alimentation7
- 176 kgCO2eq /an pour la catégorie Achats8
- 23 kgCO2eq /an pour Je me loge – Construction
- 3 kgCO2eq /an pour Je me déplace – Autres transports
Enfin, nous prenons en compte 3 autres GES non comptabilisés à ce jour par le ministère, pour des questions d’homogénéité de méthode et de disponibilité des données : les hydrofluorocarbures (HFC), les perfluorocarbures (PFC) et l’hexafluorure de soufre (SF6). Ces gaz sont responsables d’environ 293 kgCO2eq/an d’émissions par personne une fois retraités des imports/exports. Ces émissions n’étant pas dans les chiffres officiels du ministère, nous les estimons en partant des données SECTEN (publiées par le CITEPA9 et les répartissons à partir des TES (les exports sont sortis et les imports ajoutés). Ce travail donne la répartition suivante :
Gaz | Je mange | Je me loge | J’achète | Je me déplace | Dépense publique | Total |
---|---|---|---|---|---|---|
HFC | 136,2 | 38,9 | 18,8 | 50,3 | 41,5 | 285,7 |
SF6 | 0,3 | 2,7 | 1,0 | 0,0 | 0,7 | 4,6 |
PFC | 0,0 | 0,0 | 1,5 | 0,0 | 0,6 | 2,2 |
Total | 136,5 | 41,6 | 21,4 | 50,3 | 42,8 | 292,5 |
Une fois les émissions de ces 3 gaz découpées en nos 5 catégories, elles sont affectées par prorata dans les sous-catégories du graphique ci-dessous.
IV. Nos résultats
Ces compléments ajoutent donc 0,9 tCO2eq au chiffre officiel du ministère. Voici le graphique de l’empreinte carbone française en 2019, évaluée par MyCO2 à 9,9 tCO2eq par personne et par an :
10-11
La répartition des émissions est la suivante :
- Les transports restent le poste principal d’émissions avec près de 2650 kgCO2eq/an : 77% étant liés aux véhicules motorisés individuels, dont 98 % pour les voitures et 2 % pour les deux roues, et 16% à l’avion.
- L’alimentation représente 2350 kgCO2eq/an, 60% venant de la consommation de produits animaux.
- Vient ensuite la catégorie Je me loge, avec 1900 kgCO2eq/an, 62% étant associés à l’utilisation de gaz et de fioul (pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire notamment) et 24% à la construction (Formation brute de capital fixe des ménages, qui correspond à la construction neuve et au gros entretien).
- La catégorie J’achète regroupe 1600 kgCO2eq/an, dont la moitié provient des achats liés à la maison et aux loisirs (le poste maison inclut donc une part de matériaux non comptabilisés dans la FBCF).
- Enfin, 1400 kgCO2eq/an sont associés à la dépense publique, que ce soit pour l’administration et la défense (32%), l’enseignement (31%), la santé (16%) ou les infrastructures (14%).
1 – L’empreinte carbone est un calcul des gaz à effet de serre (GES) induits par la demande finale intérieure du pays (consommation finale et investissements). L’empreinte est constituée par les émissions directes des ménages (logements et voitures), les émissions de la production nationale (hors exportations) et les émissions des activités économiques étrangères dont la production est destinée aux importations du pays (source : Ministère de la Transition Écologique et Solidaire).
2 – Le CO2 équivalent est une unité de mesure du pouvoir réchauffant d’un GES sur l’atmosphère, permettant de comparer entre elles les émissions liées à différents GES.
3 – Le CO2 biogénique est le CO2 contenu dans la biomasse d’origine agricole ou forestière, émis lors de sa combustion ou dégradation, ainsi que celui contenu dans la matière organique du sol. Quelle que soit son origine, biogénique ou fossile, une molécule de CO2 agit de la même façon sur l’effet de serre. Cependant, au contraire des énergies fossiles, la biomasse peut se renouveler à l’échelle humaine, avec des cycles plus ou moins longs (cultures annuelles, forêts)(source : ADEME).
4 – Sur les données du ministère, quelques ajustements de catégorisation ont également été effectués pour mieux interpréter les résultats par catégorie :
– Réaffectation de la formation brute de capital fixe par acteurs (ménages, entreprises et public) et, pour le cas des entreprises, par branches de la consommation finale
– Passage d’une catégorisation en secteurs à une catégorisation en produits (« qu’est ce qui est vendu » plutôt que quel type d’entreprise le vend »)
– Passage de prix de base à des prix d’acquisition, pour être sur un référentiel monétaire comparable au 1257 Mds€ de dépense finale des ménages (INSEEE 5.201D Dépense de consommation finale des ménages par produit à prix courants)
5 – Le choix a été fait d’intégrer l’ensemble de la dépense publique, environ 600 Mds€ dans les tableaux entrées sorties pour les catégories Administrations publiques et ISBLM, et non de prendre la somme des codes NAF assimilables au secteur « Santé, éducation et services publics » pour le poste Services publics.
6 – Cette donnée est issue des tableaux entrées-sorties du MTES, avec une hypothèse d’un facteur 2 (base carbone) sur les émissions liées à la combustion du kérosène.
7 – 38% pour Légumes et fruits, 27% pour Viande, 21% pour Boissons, 10% pour Autres, 3% pour Lait et Œufs et 1% pour Poisson
8 – 86% pour Autres et 14% pour Habillement
9 – Les données SECTEN étant territoriales, il faut tout d’abord, pour revenir à une vision empreinte carbone, y soustraire la part associée aux exportations et y ajouter la part importée. Pour cela, on considère la part d’exportations et d’importations des postes NAF des TES et on établit des correspondances entre ces postes et ceux de SECTEN. On estime alors la part d’importation et d’exportations dans SECTEN par extrapolation à partir des TES. Une fois cette étape effectuée, on dispose de l’empreinte carbone estimée associée à ces 3 nouveaux GES. On répartit ensuite les émissions par poste SECTEN dans les 5 catégories du graphique en utilisant les données des TES pour les postes correspondants.
10 – Le secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie) permet de rapporter les flux de CO2 entre différents réservoirs terrestres (biomasse, sols, etc.) et l’atmosphère qui ont lieu sur les surfaces gérées d’un territoire. Il peut ainsi constituer une source nette ou un puits net de CO2 (source : INSEE).
Les émissions de CO2 prises en compte par MyCO2 sont les émissions dites « hors UTCATF France », ce qui signifie que nous prenons en compte les émissions de CO2 fossiles totales et les émissions de CO2 biogéniques (ou UTCATF) émises hors de la France. Pourquoi ne pas prendre en compte les émissions biogéniques françaises ? Pour être cohérent avec les chiffres officiels (source : chiffres clés du climat 2022 – page 42 – MTES), nous gardons une approche de solde net pour la catégorie UTCATF. En 2019, les émissions nettes UTCATF étaient de -30,7 MtCO2eq, soit -458 kgCO2eq par personne (source : chiffres clés du climat 2022). De cette façon, nous savons que la neutralité carbone vise à faire correspondre les émissions biogéniques française, ce que nos écosystèmes peuvent absorber chaque année, avec l’empreinte carbone publié par MyCO2. L’objectif de la neutralité carbone tel que définie par le référentiel NZI de Carbone 4 est de faire correspondre en 2050 ces 458 kgCO2eq avec les 9,9 tCO2eq de l’empreinte carbone française, et ce en jouant sur 3 facteurs : diminuer l’empreinte carbone, augmenter ce que les puits de carbone peuvent capturer annuellement et réduire le changement d’usage des sols (artificialisation notamment).
11 – Les sous-catégories « autres » comprennent respectivement :
• Alimentation : légumineuses, céréales, fruits secs, plats transformés, sucre, etc.
• Autres transports : transports par voie maritime, fluviale, train
• Dépense publique : action sociale, transport, commerce de gros et de détail, fabrication de matériel, de meubles, etc.
• Achats : commerce de gros et de détail, activités juridique et comptables, action sociale, courrier, etc.