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Dans l’ombre de Doumbouya, le deal pétrolier avec Sahara Group au cœur d’une lutte des clans

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Alors que des révélations de surfacturation et de corruption frappent la Société nationale des pétroles (Sonap), Jeune Afrique dévoile les coulisses d’un dossier qui secoue la présidence depuis plusieurs mois.

Alors que l’explosion, le 18 décembre 2023, du principal dépôt d’hydrocarbures de la Guinée a plongé la junte dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya dans une crise sans précédent, la fuite d’un rapport d’audit sur la structure des prix des produits pétroliers entre 2019 et 2022, réalisé sur instruction du ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Lanciné Condé (actuel ministre du Budget) et conduit par l’inspecteur général des finances, Jean Joseph Gomez, épingle la gestion de la Société nationale des pétroles (Sonap), une société hautement stratégique dirigée par Amadou Doumbouya.

Marge élevée

Dans les conclusions de l’audit daté de juillet 2022 que Jeune Afrique a pu consulter, les inspecteurs dénoncent notamment « de nombreuses insuffisances » relatives à la nouvelle structure des prix des produits pétroliers. Ils estiment que ces déséquilibres se sont accentués après la signature, en mars 2022, d’un contrat à terme de deux ans entre la Sonap et le trader nigerian Sahara Energy Resource Limited, pour l’importation de produits pétroliers en Guinée.

Les marges encaissées par les différents acteurs du contrat ont attiré l’attention des inspecteurs alors que l’État a, dans le même temps, renoncé à ses droits et taxes douaniers pour atténuer les répercussions de la hausse du prix du carburant à la pompe.A lire : 

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Sahara Energy, initialement doté d’une marge trader à 53 dollars par tonne, a rehaussé celle-ci à 115 dollars en avril 2022, faisant valoir les impacts de la guerre entre la Russie, aujourd’hui deuxième producteur mondial de pétrole, et l’Ukraine, sur le cours du pétrole Brent. Au début de la guerre, le prix du baril oscillait en effet entre 100 et 105 dollars. Celui-ci est à 78 dollars aujourd’hui.

Au même moment, la Sonap est passée d’une marge de 20 francs guinéens le litre à 150 francs. Contacté par Jeune Afrique, le DG de la Sonap, Amadou Doumbouya, a assuré que la marge trader de la Guinée demeure la plus petite de la sous-région, ajoutant que celle-ci est de 160 dollars en Côte d’Ivoire ou de 140 dollars en Sierra Leone. En dépit de cette conjoncture, les auditeurs ont néanmoins été surpris de constater que la marge encaissée par la Sonap est nettement au-dessus de celle de 35 francs/litre appliquée sous le régime d’Alpha Condé.

De quoi alimenter les rumeurs autour du contrat avec Sahara Group, fondé par les Nigérians Tope Shonubi et Tonye Cole et présent depuis 2015 en Guinée. L’accord, décroché via un appel d’offres qui l’a opposé aux suisses Addax Energy et Mocoh, a, dès sa signature en mai 2022, suscité de nombreuses interrogations chez certains membres de l’entourage du colonel Mamadi Doumbouya.

Mainmise sur le pétrole

Alors que côté guinéen, le deal a pour visage celui d’Amadou Doumbouya, le dossier est directement traité dans les coulisses du palais par un autre Doumbouya prénommé Ousmane. Conseiller de l’ombre du président, Ousmane Doumbouya est l’une des figures clé de la galaxie du chef de la transition.A lire : 

Bien qu’ils partagent le même patronyme, Ousmane, Amadou et Mamadi Doumbouya n’ont aucun lien de parenté. Ancien agent local chargé des services généraux à l’ambassade de Guinée à Londres, Ousmane rencontre Mamadi lors des pérégrinations européennes de ce dernier, et peu avant qu’il ne s’installe en France en 2010. À son arrivée au pouvoir en septembre 2021, le nouvel homme fort de Conakry a très rapidement fait appel à son ami intime en faisant de lui l’un de ses conseillers informels.

L’homme de l’ombre, qui n’apparaît jamais en public, s’est vu confier une myriade de dossiers stratégiques tels que la gestion pétrolière et l’Agence nationale d’aménagement des infrastructures minières (Anaim), dont il préside le conseil d’administration. Au cours de l’année 2023, Ousmane Doumbouya s’est également mué en missi dominici du président au Rwanda afin de favoriser le rapprochement entre la junte guinéenne et Kigali. Il a discrètement multiplié les voyages dans la capitale rwandaise pour préparer la visite du président Paul Kagame à Conakry.

Au palais Mohammed V devenu le quartier général de la junte, le DG de la Sonap jouit du soutien indéfectible d’Ousmane Doumbouya auquel il rend des comptes. La proximité entre les deux hommes agace tout particulièrement le camp de l’influent Fodé Amadou Fofana, dit « Papa Fofana », l’autre conseiller de l’ombre du président. Sur fond de rivalité à huis clos entre les deux stratèges, l’entourage de Fofana, un temps tenté de prendre en main le dossier pétrolier, n’hésite pas à dénoncer le contrat scellé entre la Sonap et Sahara Group, tout en fustigeant « l’incompétence » d’Amadou Doumbouya.

Entregent

Le jeune DG de la Sonap, Amadou Doumbouya, qui fait la Une des médias guinéens depuis la révélation qui lui attribue l’achat d’une luxueuse villa à un million de dollars au Texas, peut également compter sur le soutien de l’un des hommes forts de la junte : le secrétaire général de la présidence, le général Amara Camara. Selon nos informations, ce dernier a apporté son soutien au patron de la Sonap, malgré les polémiques, lors d’un conseil de cabinet qui réunissait les fidèles du président au palais, le 15 janvier.

Si son âge, à peine 35 ans, et son « manque de professionnalisme » selon ses détracteurs, lui valent des critiques, Amadou Doumbouya sait qu’il peut compter sur son solide entregent pour affronter la vague qui le secoue. En effet, le patron de l’or noir en Guinée a la protection du président de la transition qu’il a connu il y a plusieurs années par l’entremise de Zakaria Koulibaly, ancien DG de l’Office national des pétroles (Onap) et dernier ministre des Hydrocarbures du président Alpha Condé.

Introduit par l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana auprès de ce dernier, Amadou Doumbouya s’est familiarisé au milieu pétrolier à ses côtés. Alors patron des Forces spéciales, le colonel Mamadi Doumbouya était un visiteur du soir du patron de l’Onap, lequel était à la fois son ami et son argentier.

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