Environnement

Une proposition du FMI pour tarifer le carbone à l’échelle mondiale

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Vitor Gaspar et Ian Parry

le 18 juin 2021

Entre 25 et 50 % : voilà de combien les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre doivent baisser au cours des dix prochaines années pour que l’on puisse maintenir l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2C. Le moyen le plus rapide et pratique d’y parvenir serait de s’accorder sur un prix plancher du carbone à l’échelle internationale.

Cela importe au FMI car le changement climatique présente des risques considérables pour le fonctionnement des économies dans le monde. L’adoption de politiques climatiques adéquates peut permettre de faire face à ces risques et présente un potentiel énorme en matière d’investissements transformateurs, de croissance économique et d’emplois verts, si bien que le conseil d’administration du FMI a récemment approuvé des propositions visant à inclure le changement climatique dans la surveillance économique régulière des pays et dans le programme d’évaluation de la stabilité financière.

La tarification du carbone est au cœur de nos échanges avec les pays membres, car elle est désormais largement reconnue comme étant le principal outil pour mener à bien la réduction d’émissions draconienne qui s’impose. En rendant l’énergie polluante plus onéreuse que l’énergie propre, la tarification du carbone favorise l’efficacité énergétique et incite à réorienter l’innovation vers les technologies vertes. Pour accroître son efficacité et son acceptabilité, la tarification du carbone doit s’appuyer sur un ensemble plus large de mesures, notamment des investissements publics dans les infrastructures de technologies propres (par exemple, moderniser les réseaux électriques pour qu’ils soient adaptés aux énergies renouvelables) et des programmes d’aide aux ménages, aux travailleurs et aux régions vulnérables. Quoi qu’il en soit, au niveau mondial, des mesures supplémentaires équivalentes à un prix du carbone de 75 dollars par tonne ou plus seront nécessaires d’ici 2030.

À l’approche de la 26e conférence annuelle des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) en novembre, la conférence sur le climat la plus importante depuis celle de Paris en 2015, des signes prometteurs d’une action plus ambitieuse se profilent. De nombreux pays ont fixé de nouveaux objectifs climatiques : 60 pays se sont déjà engagés à avoir un bilan d’émissions neutre d’ici 2050 et certains, dont l’Union européenne et les États-Unis, ont promis de prendre des engagements plus fermes à court terme. Il convient de noter que les systèmes de tarification du carbone se multiplient : plus de 60 ont été mis en œuvre dans le monde, dont des initiatives phares cette année en Chine et en Allemagne.

Une action plus coordonnée sera néanmoins cruciale ces dix prochaines années.

Bien que certains soient passés à la vitesse supérieure, le niveau d’ambition varie d’un pays à l’autre : quatre cinquièmes des émissions mondiales ne sont toujours pas tarifées et le prix moyen mondial des émissions n’est que de 3 dollars par tonne. L’effet domino de ces disparités est que certains pays et régions où le prix du carbone est élevé ou en hausse envisagent d’imposer des taxes sur la teneur en carbone des importations en provenance de pays qui ne disposent pas de systèmes similaires. Toutefois, dans une perspective climatique mondiale, ces mesures d’ajustement aux frontières ne suffisent pas, car le carbone incorporé dans les flux commerciaux représente généralement moins de 10 % des émissions totales des pays.    

La lenteur des progrès enregistrés tient en partie au fait qu’il est difficile pour certains pays d’intensifier leurs mesures d’atténuation unilatéralement pour respecter les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Ils sont notamment inquiets des effets que cela pourrait avoir sur leur compétitivité et craignent que les autres pays ne leur emboitent pas le pas. La participation quasi-universelle des pays à l’Accord de Paris, sur laquelle repose sa légitimité, ne facilite pas les négociations.

Alors, comment faire pour que la tarification du carbone atteigne le niveau nécessaire d’ici dix ans ? Dans un nouveau document des services du FMI, en cours d’examen par le conseil d’administration et les pays membres de l’institution, il est proposé de créer un mécanisme international de fixation d’un prix plancher pour le carbone, en complément de l’Accord de Paris. Ce mécanisme serait :

  1. lancé par les plus grands pays émetteurs. Le graphique montre que la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Union européenne seront responsables de près des deux tiers des émissions mondiales de CO2 prévues en 2030 (si aucune nouvelle mesure d’atténuation n’est prise). Si l’ensemble des membres du G20 sont pris en compte, ce chiffre atteint 85 %. Une fois lancé, le système pourrait être progressivement étendu à d’autres pays ;
  1. fondé sur un prix minimum du carbone. Il s’agit d’un instrument efficient, concret et facile à comprendre. Une démarche simultanée des grands pays émetteurs pour augmenter la tarification du carbone permettrait d’agir collectivement contre le changement climatique tout en répondant de manière résolue aux préoccupations liées à la compétitivité. L’accent mis sur un prix minimum du carbone va de pair avec le débat actuel sur un taux d’imposition minimum des multinationales. Plus généralement, l’harmonisation internationale au moyen de taux d’imposition plancher s’inscrit dans une longue tradition en Europe ;
  2. conçu de façon pragmatique. Le mécanisme doit être équitable, souple et tenir compte des responsabilités différenciées des pays en fonction, notamment, de leurs émissions antérieures et de leur niveau de développement. Une façon d’y parvenir est de prévoir, par exemple, deux ou trois niveaux de prix qui varieraient en fonction du degré de développement du pays (selon les indices reconnus). Le mécanisme pourrait également s’appliquer aux pays dans lesquels la tarification du carbone n’est pas actuellement possible pour des raisons de politique intérieure, pour autant que ceux-ci parviennent à des réductions d’émissions équivalentes à l’aide d’autres instruments.

À titre d’exemple, si les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris étaient renforcés en instaurant pour six participants uniquement (Canada, Chine, États-Unis, Inde, Royaume-Uni et Union européenne), parallèlement aux mesures appliquées actuellement, un prix plancher à trois niveaux (75 dollars pour les pays avancés, 50 dollars pour les pays émergents à revenu élevé et 25 dollars pour les pays émergents à faible revenu), les émissions mondiales pourraient être réduites de 23 % par rapport au niveau de référence d’ici à 2030. Cette réduction serait suffisante pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 2°C.

La mise en place d’une tarification du carbone dans les provinces canadiennes constitue un bon prototype de la manière dont un prix plancher pourrait se traduire à l’échelle internationale. Le gouvernement fédéral exige des provinces et territoires qu’ils appliquent un prix minimum du carbone, qui doit progressivement passer de 10 dollars canadiens par tonne en 2018 à 50 dollars canadiens en 2022, puis 170 dollars canadiens en 2030. Les autorités locales sont libres de satisfaire à cette exigence au moyen de taxes sur le carbone ou de systèmes d’échange des droits d’émission.

À l’échelle mondiale, un mécanisme bien conçu de fixation d’un prix plancher du carbone serait source d’avantages tant au niveau national qu’international. Tous les participants tireraient parti de la stabilisation du système climatique mondial et les pays bénéficieraient à l’échelon national des avantages environnementaux liés à la réduction du recours aux combustibles fossiles ; l’avantage le plus notable serait la diminution du nombre de décès dus à la pollution atmosphérique locale.

Il n’y a pas de temps à perdre pour mettre en place un tel mécanisme. Imaginons-nous en 2030. Faisons en sorte que, lorsque nous repenserons à 2021, nous ne regretterons pas d’avoir manqué l’occasion d’agir ensemble. Au contraire, il faudrait que nous puissions regarder avec fierté les progrès accomplis au niveau mondial pour limiter le réchauffement de la planète en dessous du seuil de 2°C. Nous devons agir de manière coordonnée dès maintenant et mettre pour cela l’accent sur l’instauration d’un prix plancher du carbone au niveau international.

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Vitor Gaspar, de nationalité portugaise, est directeur du département des finances publiques du FMI. Avant d’entrer au FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été directeur général des Études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne. Il a également étudié à l’Université catholique portugaise.

Ian Parry est expert principal en politique budgétaire et environnementale au sein du département des finances publiques du FMI. Ses domaines de spécialité sont l’analyse budgétaire du changement climatique, l’environnement et les questions liées à l’énergie. Avant de rejoindre le FMI en 2010, M. Parry était titulaire de la chaire Allen V. Kneese d’économie de l’environnement au sein de l’institut de recherche Resources for the Future.

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